Le chemin vers l’autre

Autrefois…

J’ai grandi dans une petite ville à une époque où l’on prenait encore soin de ses voisins. Certaines familles étaient moins aisées que d’autres, mais tout le monde avait un toit sur la tête. Quand j’y repense, il ne m’était même pas concevable que quelqu’un puisse vivre autrement ! Il faut dire qu’en tant que dernière d’une fratrie de 4 filles, j’ai été mise sous cloche avec autour de moi un monde qui avait certes sa misère, mais dont j’étais totalement protégée et dont on ne parlait pas… C’est ainsi que j’ai quitté le nid familial avec une vision de la vie plutôt idéalisée, et lorsque mon chemin à croisé celui d’un sans-abri, ma première réaction a été de détourner la tête et d’accélérer mon pas. J’avais peur.

A cela s’est ajouté le dégoût et l’agacement en lien avec le milieu professionnel dans lequel j’évoluais. J’étais responsable commerciale dans un groupe privé qui détenait plusieurs restaurants prestigieux sur Strasbourg. Le monde de la rue n’avait pas sa place dans ce milieu du luxe que je servais et dont je pensais faire partie. Face à ces gens qui pour moi avaient fait le choix de la bouteille plutôt que du travail, mon regard était devenu méprisant.

 

Un déclic…

Ce n’est que plusieurs années plus tard, lors d’un voyage en Égypte avec ma fille Emma alors âgée de 7 ans, qu’il y a eu une prise de conscience de ma part. Cette misère que je prenais soin d’ignorer n’était rien comparée à celle d’ici. J’étais totalement bouleversée et honteuse. Ma fille ne voyait que la piscine et les nombreuses activités qui lui étaient proposées, moi je voulais qu’elle ouvre les yeux sur ce monde de misère. 

Lors d’une excursion à Luxor, l’hôtel nous avait préparé des lunch-box car le voyage était long. Nous sommes partis en pleine nuit et au petit matin, lorsque le bus s’est arrêté dans un village proche de notre destination, nous étions garés à côté d’une montagne d’ordures ménagères sur laquelle des enfants en guenille cherchaient de la nourriture. Le choc ! Emma a pris sa lunch-box et l’a apporté aux enfants avec la majorité du groupe qui l’a suivi. Cet acte de solidarité nous avait uni. 

 

En chemin…

De retour en France, mon regard sur ce monde de la rue avait évidemment évolué mais la peur était encore bien présente. J’ai donc fait une liste d’actions qui allait m’aider à aller de l’avant :

Première action : parler avec un sans-bris. Note : Peut mieux faire, j’ai parlé à son chien….

Deuxième action : avoir une conversation avec un sans-abris .Note : Net progrès, Essayer d’aller au-delà des 30 secondes

Troisième action : faire un cadeau à Noël   Note : Fait ! j’ai eu un gros ronflement en guise de remerciement 

Au fil des tentatives, l’approche est devenue plus naturelle et la relation s’est affinée mais sans plus d’investissement de ma part. Lors d’une soirée AGM, Catherine nous a demandé de lister nos actes solidaires puis de répondre à différentes questions. Une de mes réponses était : « je n’ai pas un bon goût de moi. L’action est normale et c’est le moment de l’action qui me nourrit. » C’était devenu une évidence et il n’y avait plus qu’un pas à franchir en étant active au sein d’une association qui vient en aide aux sans-abris. Je connaissais l’Association Bretz’Maraude qui organise tous les dimanches soirs des maraudes sur la ville de Colmar et dont je suivais les actions depuis plusieurs mois. Ce qui les distingue et qui m’a séduite, c’est le temps qui est accordé à chaque sortie. L’objectif premier est bien sûr de répondre à des besoins du quotidien, en revanche, chaque action permet d’aller au plus près de la personne et de lui apporter un temps d’échange, parfois de rire et le plus souvent d’écouter. 

C’est ainsi que depuis quelques mois, je  vais à la rencontre de Robert, Benoit, Hasan, Nathalie et tant d’autres qui le temps d’un repas nous partagent leurs souvenirs qui enrichissent ce moment qui nous nourrit mutuellement.

 Un temps que j’ai également eu plaisir à partager avec mon groupe AGM lors de la préparation d’une maraude. Un bel élan de solidarité dont je les remercie et qui nous a uni autour d’une même volonté : « aimer son prochain comme soi-même ».