Janvier 2024 : c’est pour moi un jour un peu particulier. Après 44 années de vie professionnelle, je vais rendre mes clés, mon badge et mon ordinateur à mon dernier employeur. Une page se tourne, direction une nouvelle tranche de vie. Je me sens légère.

Il est un peu plus tard que d’habitude lorsque je me rends à la station de tram. Des étudiants d’ETH, l’école d’ingénieurs voisine, des enfants, des gens de tous âges se retrouvent sur le quai, Zürich est une ville de transports en commun, partagés par tous.
Prête à monter dans le 10, je croise le regard d’une jeune femme, qui m’évoque l’Amérique latine, et me dit « Surprise? ».

Ce n’est pas un mot de Suisse alémanique, on dirait « Überraschung »… Etrange. La jeune femme tient une pile de magazines dont Surprise est le titre. Je m’arrête, elle m’en tend un, et immédiatement, elle me montre que les 6 chiffres reportés sur la page de couverture sont ceux de sa carte officielle de vendeuse de rue. Ici, on ne plaisante pas avec les autorités, quelles qu’elles soient.
8 Francs, c’est le prix de la revue. Je tends un billet de 10, et lui fais signe que c’est ok, avec un vrai sourire.
Je vois dans ses yeux cet éclair de dignité que je reconnais à chaque fois et qui me fait chaud au coeur.
Elle est fière, une relation certes brève, et cependant si intense. Elle continuera ses ventes et touchera d’autres personnes.

Elle a ce même regard que ceux croisés à Saverne, Strasbourg ou Metz à l’entrée d’un supermarché, à Lyon à un feu rouge, à Francfort dans une grand rue piétonne, etc. Surprise est LE mot juste, aucun(e) ne semble s’attendre à être considéré(e).
Ces femmes, ces hommes aux yeux et aux mains qui remercient, disent parfois quelques mots, mais pas toujours.
Ce qui reste fort pour moi est cette étincelle d’humanité, jamais dans la pitié mais dans le respect, et dont je garde le goût.

Je lirais Surprise dans le tram, découvrirais qu’il est vendu à Zürich, Berne et Bâle, grâce à toute une chaîne de solidarité (journalistes bénévoles, entreprises solidaires, ONG…) qui soutient marginaux et exclus.

Cette Surprise m’a mise en joie, moi qui 10 années durant, n’avais jamais croisé le chemin d’un de ses vendeurs de rue, étonnant !
Merci au Club des Mains Tendues, à Patricia pour son inspiration incarnée. Mon engagement me rend plus attentive, plus sensible.
LA SEULE VOIE PAR LAQUELLE DESCEND LA LUMIÈRE EST : DONNER (E64)