Je chante habituellement dans une chorale, dans un rendez-vous bimensuel joyeux et salvateur, ma voix noyée dans celle des autres. Je me cale sur mes voisines de pupitre, ne suis jamais sûre de la note, des paroles, du rythme. La voix, un endroit tellement intime de ma confiance en moi. Là où je suis la plus à l’aise pour chanter est… sur mon vélo. Là où personne ne m’entends, je peux me lâcher simplement.
Mais dès qu’on m’écoute, je me sens vaciller, je perds toutes mes facultés, me sens jugée, naturellement puisque je suis la première à le faire. Si difficile à faire taire, cette juge-là.
Avec le confinement, fini le chant choral, mais une proposition d’un enregistrement collectif, chacun chez soi. Nous avons les enregistrements, par voix, le dress code, il n’y a plus qu’à. Après demain je redeviens maman à plein temps, ce sera donc demain.
Je me régale à me faire belle, comme pour un vrai concert, trouver un costume de circonstance, me préparer. J’installe le matériel, chante, casque sur les oreilles pour être dans le tempo. J’écoute le fruit de mon travail. Quelle horreur ! Je saute des mots, ne trouve pas ma voix, rattrape en cours de route, bouh !  Tous mes défauts révélés au grand silence de mon solo. La voix me semble beaucoup plus haute que d’habitude, je passe sans cesse de voix de tête à voix de poitrine… Je ne peux pas envoyer ça ! Allez, Marion, le jeu de la seconde chance. Tendresse et tolérance. Et trois, et quatre… Je continue, jusqu’à être à l’aise, dans le plaisir de chanter. Ce n’est pas parfait, mais ce sera la dernière prise ! Moi qui abandonne si souvent les projets en cours de route, de peur de ne pas y arriver. Mais à quoi ? A être parfaite ? J’envoie ma voix, imparfaite, mais heureuse. Je l’ai fait ! Quelle joie. En cadeau,  les compliments de ma cheffe de choeur. Et le plus grand cadeau, ma propre tendresse à aller au bout, ce plaisir là, à ma plus grande joie.

Marion